samedi 12 mars 2016

Un commissaire de l’air à Chypre en 1956

Par le commissaire général (2S) René Rame (ECA 53)(Liaison n°61)

Récit d’un épisode de la « crise de Suez », vécu par un commissaire de l’air de la 1ère promotion de l’ECA, à une époque où l’on ne parlait pas encore d’OPEX.

"Nasser nationalisa le Canal de Suez en juillet 1956. L'Angleterre et la France réagirent et ce fut ce que le grand public a retenu sous le nom « d'opération de Suez ». Pour l'armée de l'air, les mémoires ont retenu « Chypre », lieu de stationnement de nos unités.

Les préparatifs de l'opération furent déclenchés à la fin de l'été, un dimanche, le 1er CATAC étant chargé de la mise en place des moyens aériens, matériels et personnels pris sur ses unités. L'adjoint au directeur du commissariat de cette formation (commissaire lieutenant-colonel Guillelmet) et moi-même (alors capitaine), on se retrouva donc au bureau, un dimanche après-midi, pour élaborer les directives administratives en fonction des éléments fournis par l'état-major. Aucun précédent pour nous inspirer, ce fut probablement la première "opération extérieure", digne de ce nom.


On avait besoin, en plus de certains matériels du magasin régional de Lahr, d'une partie des matériels de campagne "sans douane", c'est-à-dire réalisés en Allemagne avec des crédits Marks et stockés en France. Leur mise en service était subordonnée à une autorisation spéciale ministérielle. Sur notre demande, le cabinet du ministre donna instantanément l'autorisation d'utilisation, par message.

Ignorant la durée de l'opération, on a pensé aux familles et défini une procédure simple de délégation de solde permettant de leur verser directement une partie de la solde du militaire, création d'un commissariat des bases (CBA) dont le personnel embarquerait avec celui des unités aériennes et commencerait à fonctionner dès l'arrivée à Chypre, désignation des officiers et sous-officiers pris
essentiellement au CBA de Metz, fonctionnement d'un organisme nourricier unique, rations de combat, fonds d'avance ...

Vers le milieu de la nuit, on avait fait le tour du problème et, dès le lundi matin, dactylographie et diffusion. Le voyage de Reims vers Chypre s'effectua par voie routière jusqu'à Marseille (quelques incidents mineurs), par bateau de Marseille à Chypre pour le personnel et le matériel. Les appareils rejoignirent Chypre par voie aérienne (il y aura eu quelques péripéties purement aéronautiques).
Les unités demeurèrent à Chypre, si je me souviens bien jusqu'à la mi-1957. A plusieurs reprises on parla de réactivation probable du dispositif.
Le 1er CATAC et la DCA (direction du commissariat de l’air) de celui-ci pour les questions administratives coiffèrent cette opération extérieure pendant toute sa durée."

Le point de vue du commandement
RF-84 reco avec les bandes d'identification jaune et noir
"J'ai passé les commandes du matériel nécessaire, indiquant la date à laquelle le matériel devait se trouver soit à la base d'Istres s'il était aérotransporté, soit à Marseille, s'il devait être embarqué par bateau. Pour ce genre d'opération, il fallait garder le secret tout en faisant descendre des centaines de camions, de véhicules spécialisés, lourds et lents, et les faire circuler un 15 août !


Au moment où les premiers détachements arrivent, il peut faire jusqu'à 40° dans la journée, la nuit la température s'effondre, avec tous les ennuis de santé que vous pouvez imaginer, sans compter le sable et le vent. Le personnel vit très mal mais accepte les conditions. Qu'il s'agisse de la troupe, du personnel navigant, tous ont vécu sous la tente, ce qui n'est pas très favorable à la forme physique des pilotes."

Général Raymond Brohon. Désigné par les autorités nationales pour participer aux travaux d'état-major franco-britannique concernant Suez de fin juillet à octobre 1956. Commande les forces françaises d'intervention dans l'opération de Suez. 
Revue historique des armées, n°207, 1997